Environnement, santé, modes de vie, modes de production … en se diffusant de toutes parts et de manière inédite, le Coronavirus et ses conséquences sur nos vies semble brutalement requestionner les interrelations dans lesquelles nos sociétés modernes se développaient jusqu’alors.
Et si cette crise nous donnait finalement de nouvelles clés de lectures pour engager, poursuivre et réussir les transitions à la fois sociales et environnementales. Un changement qui prendrait notamment en compte les questions du Travail…

L'arroseur à l'arrêt

Nous avons voulu « maitriser » l’environnement naturel en le tenant « hors la ville »[1]. Voici qu’un virus, en nous choisissant comme hôte, nous rappelle subitement que non seulement nous ne sommes pas maitres de la nature mais que nous en faisons partie.

Par l’atteinte qu’il porte à notre santé et nos vies il vient souligner notre fragilité d’organisme vivant.
Par sa vitesse de propagation - à la mesure de notre excellence aéronautique, de nos manières de vivre ou de travailler - il nous rappelle qu’elles ne nous affranchissent pas de notre lien à la nature.

Si cette crise est brutale, mondiale et inédite, elle n’est malheureusement pas la première à révéler les liens entre santé humaine et environnement. [2]
De manière plus « locale » on peut ainsi se rappeler de la canicule de 2003 ou plus globalement, les effets néfastes pour la santé désormais incontestables de la mauvaise qualité de l’air, de l’eau, des sols…

Nous pouvons étendre la représentation que nous avons de notre environnement à quelque chose de plus large que « la nature ». L’environnement est aussi ce que nous avons construit autour de nous, matériellement, socialement, technologiquement. Il est les lieux où nous évoluons, les objets, les visages, les règles de notre quotidien : écosystèmes urbains, humains, de travail… En le transformant, c’est nous même que nous modifions.

C’est bien certaines de nos manières de vivre et de travailler, qui - mettant sous pression notre environnement - dégrade ce qui fait ressource[i], déséquilibre les éco-systèmes, puis par effet rebond nous atteint organiquement et psychologiquement.

La pandémie de COVID-19[3] - vraisemblablement due à une conséquence du trafic et de la consommation d’animaux sauvages, est un exemple parlant de l’influence de nos modes de vie et de production sur notre vie organique.
De manière similaire, d’autres situations de production - pourtant légales - peuvent aussi favoriser la baisse de la biodiversité qui fait rempart aux zoonoses : déforestation[4], exploitations intensives d’animaux, agricoles ou encore des ressources minières.

Nos modes de vie sont aujourd’hui déclencheurs d’une mise à l’arrêt découlant d’une atteinte à la vie au sens large. La pandémie révèle ici une manière de faire qui se retourne contre elle-même : là où le gain économique - mais aussi supposé social - justifiait l’exploitation faisant pression sur les écosystèmes, ce sont les conséquences mêmes de cette activité qui mettent à l’arrêt l’économie mondiale, font perdre des milliards, et dont les conséquences déjà immédiates vont durer encore plusieurs années. Par effet rebond, c’est directement notre vie et celle des autres qui est touchée : santé, vie sociale, et enfin vie économique.

A moins grande échelle, et de manière tout autant « spectaculaire » cependant, nous avions pourtant déjà vécu des périodes de mise mal de nos activités économiques avec des conséquences sur notre santé directement liées à nos manières de travailler et de produire. Des accidents industriels majeurs (Bohpal en Inde[ii] en 1984[5], Tchernobyl, ou, plus près de chez nous, AZF ou Lubrizol) en sont quelques exemples parlants.

Sur un autre registre, les maladies professionnelles - au premier rang desquelles le burn out - prennent également la forme d’une mise à l’arrêt. Celle d’une personne, d’un service ou d’une entreprise toute entière. Les indicateurs de santé au travail ne cessent de se dégrader[iii]. Dans l’enquête européenne sur les conditions de travail (2015) les indicateurs de qualité de vie au travail - ayant un impact attesté sur la santé et le bien-être des travailleurs - montrent un glissement vers le bas du classement de la France. Les situations sociales d’extrêmes gravités rencontrées par les entreprises dans les années 2000 en sont des exemples parlants (Renault, France Télécom –Orange[iv][6]).

De quelles manières nos modes de production, nos manières de travailler, et parfois l’objet même du travail font pression sur nos environnements, que génèrent-t-ils ?

Permettent-ils à nos environnements et à nous-même de se développer, de s’enrichir, de favoriser la (bio)diversité, la solidarité ?
Reconnaissent et respectent-t-ils les différentes vocations des écosystèmes naturels, des rôles, fonctions et compétences ?
Utilisent-t-ils de manière durable  les ressources et les compétences?
Limitent-t-ils les déchets, les maladies, les arrêts de travail, le turn-over ?
Les facteurs et espaces de régulation sont-ils favorisés, respectés ? existent-ils ?
Quels liens, qualités relationnelles favorisent-ils et permettent-ils de développer ?

Enfin, de quelles manières - le travail - traversé par différentes crises[v] devra-t-il s’adapter ?

Un mal pour de nouveaux biens… communs ?

La crise du COVID-19 met le projecteur sur les conséquences de nos manières de faire[vi]  par l’arrêt brutal qu’elle impose à nos activités. En effet, cet arrêt ayant des incidences bénéfiques :

Le trafic routier, naval, aérien, et aussi la consommation d’électricité produite pour une part importante (en dehors de la France) à partir du charbon ont drastiquement diminué. Conséquences : la pollution immédiate au CO2 diminue, les villes et donc les humains respirent mieux.

Le bruit engendré par nos activités et notre seule présence dans l’espace public s’est arrêté par le confinement : les animaux étendent leur périmètre de vie et d’exploration.

Cette crise impose par ailleurs pour une partie de la population : le télétravail (il est passé de 7% à 30% pendant la période de confinement), qui – certes lui-même génère une pollution électrique plus importante – mais semble dessiner d’autres gains. Cette manière de travailler vis à vis de laquelle certains managers résistaient, permettrait-elle de gagner en confiance dans la relation ? Les premières tendances des études en période de confinement montrent que le télétravail n’est pas aisé et source de fatigue en période de confinement[7]. Mais en l’envisageant dans un contexte de retour à la normale, il pourrait modifier au long cours, nos modèles de travail.

En effet, selon les premiers résultats de l’étude lancée par le réseau Anact-Aract en avril dernier, 88% des télétravailleurs en confinement, souhaiteraient le poursuivre après la crise. Le calcul semble vertueux ; en termes de qualité de vie au travail (les temps de déplacements domicile –travail générant fatigue et anxiété) tout comme de qualité de l’air[8] (dues aux particules émises par le trafic routier).

Nos manières de consommer ont changé : faire la cuisine 3 fois par jour a modifié nos habitudes alimentaires. La consommation de produits locaux a largement augmenté depuis le début du confinement et l’on pourrait imaginer que ces habitudes puissent s’installer dans le temps. Ainsi, dans une étude récente[9] : plus de 70% des sondés expriment que la crise actuelle révèle qu’il est nécessaire de consommer plus responsable, notamment plus équitablement, plus durablement, et pour une juste rémunération en faveur des agriculteurs locaux. Plus de 80% des sondés ont l’intention de continuer à aller dans ce sens en sortie de crise. 54% des sondés souhaiteraient aller vers une alimentation 100% locale.Certaines entreprises se sont adaptées au contexte en réorientant leurs productions (masques, gel hydro alcoolique, visières et écrans en plastique). Mobilisation, et engagement des salariés ont été nécessaires ; certains expriment retrouver du sens et être partie prenante pour trouver rapidement des solutions et des nouvelles organisations du travail[10]. Le dialogue social a été nécessaire afin de rassurer les salariés, préparer la reprise d’activité, mais aussi pour inventer et s’adapter à la demande en période de crise. Or l’on sait que la participation des salariés, pouvoir contribuer à l’organisation du travail, trouver du sens dans les tâches effectuées sont des facteurs de qualité de vie au travail.
Les salariés qui ont continué à travailler, notamment à l’extérieur de leur domicile, car exerçant des activités essentielles, ont également trouvé pendant cette période, une prise de conscience inédite de la part du grand public, sur leur rôle. Une reconnaissance est en cours, il serait bon qu’elle s’installe dans le temps

En marche … mais autrement

Ayons en tête les éléments de contexte, et en pensée, le fait que les citoyens sont aussi salariés, dirigeants, futurs ou anciens travailleurs (étudiants ou retraités).

Des mouvement sociaux étaient déjà à l’œuvre avant cette crise : marches pour le climat, manifeste des étudiants pour un réveil écologique, pacte pour le pouvoir de vivre[11], convention citoyenne pour le climat qui traite le problème du changement climatique par différentes entrées dont « produire et travailler », et aussi « consommer », « se loger », « se déplacer ». Ce mouvement de fond a abouti au mois de mars à la montée « des verts » aux dernières élections municipales.

Des mouvements et changements individuels en termes d’attentes et d’actions étaient également présents, avec les problématiques associées :

>>> pour le citoyen-consommateur :

un quart des Français étaient déjà « localistes » :

     >> 83%

         de la génération Y souhaitaient que les marques s’engagent sur les questions sociétales,

     >> 82%

        pensaient que cet engagement pouvait changer les choses et

     >> 69%

        souhaitaient être impliqués aux côtés des marques dont ils consommaient les produits.

Et cette attente se généralisait déjà : 84% des consommateurs souhaitait prendre en compte l’engagement social et environnemental dans le choix des marques dont ils consommaient les produits[12]

>>> Pour le citoyen-actif :

les jeunes générations attendaient - plus encore que les générations précédentes - un travail qui soit source d’épanouissement[13].
Ils accordaient beaucoup d’importance au sens du travail (être utile à la société, aider les autres), aux relations dans le travail (l’ambiance de travail) et au fait que le travail soit apprenant.
Le sentiment de reconnaissance et davantage d’autonomie sont placés au haut du podium des points à améliorer dans l’entreprise par les salariés.
Ces derniers sont de plus en plus nombreux à s’intéresser aux actions proposées par les entreprises pour mieux les accompagner face aux changements, pour les soutenir dans l’articulation entre vie professionnelle et engagements personnels ou familiaux[14].

>>> Le citoyen-dirigeant  :

En 2018,

     >> 43%

        des entreprises pensaient être retard sur les questions de responsabilité sociale et environnementale.

     >> 80 %

        des responsables d’entreprises se sentaient responsables du bien-être des salariés, de la vie sociale locale ou de la protection de l’environnement[15].

En 2016,

     >> 56%

        des dirigeants estimaient l’entreprise légitime pour mettre en place des actions de santé pour les salariés au-delà des obligations légales.

En 2018,

     >> ils étaient 74%.

Les 3 premiers enjeux RH identifiés étaient : développer la motivation et l’implication des salariés, simplifier l’organisation et responsabiliser les salariés, renforcer la culture d’entreprise et créer un collectif[16].

Ces mouvements à l’œuvre, et d’autres encore[17] semblent dès lors enfoncer le clou pour orienter la reprise vers une véritable transition. Ainsi, la convention citoyenne pour le climat a émis dans le contexte de la crise (et avant le rendu final de son travail prévu au mois de juin) 50 propositions à destination du gouvernement pour la reprise de l’après-COVID[18].

Des entreprises et organisations ont déjà initié le mouvement et d’autres sont en réflexion, pour certains mués par la crise actuelle ou profitant d’elle pour renforcer leurs actions[19]. La RSE, la raison d’être des entreprises, l’économie circulaire, la qualité de vie au travail, le souhait de « libérer » l’entreprise, les différentes formes d’organisation cherchant à donner davantage d’autonomie aux salariés peuvent être des illustrations de cette recherche.

Certains précurseurs ont intégré ces différents enjeux et sont engagés depuis longtemps et de manière très profonde dans ces nouvelles manières de faire, bonnes pour les organismes vivants, humains compris.

Mais articuler finement les manières de travailler pour un bien être social et environnemental reste un défi.

En effet, tout le monde ne se situe pas au même endroit, les parcours sont différents pour chacun (grandes / petites entreprises ; industrie / service ; création d’entreprises / entreprises existantes depuis de nombreuses années ; engagement plus social qu’environnemental ou inversement, parfois les deux).

L’Aract Auvergne-Rhône-Alpes a rencontré plusieurs entreprises, et continue à cheminer avec certaines pour inventer les meilleures manières de partager et d’avancer avec d’autres : Equilibre Café, Naturelles Substances, l’Aromathèque, la Fabrique Biz Rexia, Lou bio Dao, Condat, bureau Uguet, Urby, Log’ins

D’autres organisations et associations sont également associées à ce travail pour apporter leur expertise, regard et expérience via le projet Passage qui a pour ambition de s’ancrer et se diffuser localement afin de faciliter ces transitions à mettre en œuvre: l’Isara Lyon, Aradel, le CJD, Sup-agro Montpellier, le réseau Fève, le Ciridd, le pôle éducation santé-environnement, l’Anact

Notes et renvois de l'article

En savoir plus sur le projet passage

Consulter notre page consacrée au projet

Béatrice Baudo, chargée de mission
04 37 65 49 95 - 06 24 55 02 06
b.baudo@anact.fr