Équilibres Café (Lyon 1er)
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Amies depuis 10 ans, Ludivine & Mathilde ont voulu créer un lieu qui leur ressemblait.
En 2018, naissait Équilibres Café, dans le premier arrondissement de Lyon. Un espace pas comme les autres où engagements sociaux et environnementaux s’entremêlent et dessinent le visage de l’entreprise de demain, plus éthique, plus solidaire, plus responsable.

Dans le cadre du projet partenarial « Passage, entreprises en transition » - qui explore les liens entre écologie et travail, nous avons recueilli le témoignage de Mathilde.

« Il y avait cette idée globale de se dire que la finalité d’une entreprise n’est pas forcément la recherche du profit »

Qu’est ce qui a été à l’origine de la création d’Équilibres Café ?

Équilibres Café est un établissement que nous avons ouvert il y a un peu plus de 2 ans maintenant.

Notre ambition à l’origine était de créer une entreprise qui soit à impact positif. Il y avait cette idée globale de se dire que la finalité d’une entreprise n’est pas forcément la recherche du profit. Nous voulions ouvrir un lieu où les gens soient contents d’aller, se sentent bien accueillis, se sentent bien tout court, un peu comme chez eux. D’où l’idée d’un café… et nous avons choisi de travailler autour du principe de solidarité, qui était au centre de nos valeurs.

Un exemple de ce principe de solidarité qui vous anime ?

Nous avons voulu recréer de la mixité et du lien de proximité au sein du quartier en passant par le concept de l’euro solidaire. Nous proposons à tous les clients qui le souhaitent d’ajouter un euro à leur consommation et dès que l’on obtient 10 euros de dons, nous ajoutons deux euros pour créer un « repas solidaire », une invitation à déjeuner au café destinée à quelqu’un qui n’a pas forcément les moyens d’aller au restaurant.

En revanche, nous nous sommes très vite rendues compte que même si les clients donnaient facilement, il serait difficile ensuite de redistribuer les repas car les personnes défavorisées n’osent pas forcément venir profiter de ce type de don. C’est pourquoi nous avons co-créé le concept et noué des partenariats avec des associations lyonnaises. L’idée étant que leurs bénéficiaires se sentent bien accueillis chez nous, comme n’importe quel autre client qui payerait son repas…

C’est bien cela qui est au cœur de notre idée de départ, ce lien social au sein du café. Après, d’autres activités se sont mises en place autour : nous proposons une salle de réunion, des ateliers avec des partenaires (yoga, cuisine éco-responsable…) en favorisant la mixité et la sensibilisation pour le plus grand nombre, avec des cours de cuisine anti-gaspi, des projections de documentaires, des vides-dressings pour limiter la surconsommation etc.

Nous voulons créer tout un écosystème autour de cette dynamique de partage et pas simplement un accès au restaurant pour des personnes en difficulté qui viendraient juste y manger une fois par an. Là, ils sont les bienvenus toute l’année pour différentes activités.

Et vous avez des idées pour aller encore plus loin sur ce champ social ?

Nous voulons favoriser encore plus la mixité, avec une programmation plus dense, être davantage un écosystème, faire émerger de nouvelles initiatives. Pour le moment nous accueillons des événements de sensibilisation qui favorisent la rencontre, mais nous n’avons pas beaucoup de temps pour en créer.

Au-delà, nous avons également un projet en cours autour de la création d’un module de formation pour celles et ceux qui voudraient lancer - comme nous - un lieu éthique.

Au-delà de vos convictions sociales, vous avez également de forts engagements environnementaux…

Oui, nous nous sommes rendu compte que quelque chose que nous faisions initialement naïvement, était en fait assez engagé car nous cuisinons tout 100% maison, alors qu’en réalité, malgré ce que l’on pourrait imaginer, ce n’est vraiment pas la norme dans le milieu (rire).

Nous n’avons pas un parcours traditionnel de restauration, nous ne connaissions pas les pratiques habituelles et finalement on se retrouve à rebours de ce qui se fait dans certains établissements : beaucoup de déchets, de choses pré-préparées, des grosses quantités, des aliments surgelés, des façons de cuisiner où tout ce qui ne sera pas consommé sera jeté.

Nous, dès le départ, nous avons eu l’ambition de nous entourer de producteurs éthiques, locaux quand c’est possible. Nous fonctionnons avec des produits locaux, bio ou raisonné et avec des fournisseurs engagés. Par ailleurs, le zéro déchet qui n’était pas vraiment un sujet pour nous à l’origine est devenu au centre de nos manières de faire et nous avons décidé d’aller plus loin dans cette démarche avec l’achat de nos produits en vrac, et aussi la mise en place d’une collecte de compost.

Nous commençons également à travailler autour de la cuisine végane, même si nous n’utilisons déjà que très peu de viande, nous sommes intéressées d’aller au-delà avec des alternatives végétales qui vont vraiment dans le sens de la réduction de l’empreinte environnementale et aussi du bien-être animal.

Nous n’y sommes pas encore mais à terme, l’idée serait de proposer en plus d’une majorité de plats végétariens, des options véganes.

Donc en cuisine, l’engagement est indéniable… mais pour le reste ?

C’est vrai qu’étant donné que c’est notre cœur d’activité, nous nous sommes d’abord centrées là-dessus mais nous avons aussi des engagements annexes : des produits d’entretien qui sont respectueux de l’environnement, des boîtes plutôt que du film plastique pour conserver les aliments… et tout ce qui est matériel : en rachetant le commerce, nous avons recyclé le mobilier par exemple. Globalement, on essaie de toujours réutiliser !

Nous avons aussi réalisé un diagnostic énergétique : il faudrait remplacer les lampes, les terminaux de chauffages… cela demande des investissements, donc tout n’est pas encore « parfait » mais nous n’avons de cesse d’essayer de rendre l’espace le plus écologique possible.

« C’est important pour nous que les produits bio, éthiques, soient accessibles au plus grand nombre. La mixité passe aussi par-là ! »

Et au niveau de la relation client, comment est perçu cet engagement ?

C’est compliqué, car pour expliquer tout cela, c’est souvent un long discours... Si nous ne faisions que du bio par exemple, ce serait simple, et le message passerait.

Sauf que là nous sommes souvent confrontées à la question de notre carte très réduite. Parfois, tous les produits ne sont plus disponibles car on ne pas veut gaspiller et que l’on travaille sur des quantités « raisonnables ». Alors il faut faire de la pédagogie et de la sensibilisation pour que les clients comprennent.

Notre objectif, n’est pas non plus d’avoir un lieu hyper engagé qui n’attire que des gens hyper engagés parce que nous ne croyons pas que c’est ainsi que l’on peut changer les choses.
Nous voulons proposer un un lieu sympathique qui attire des gens des tous profils et milieux sociaux et leur expliquer au fur et à mesure nos engagements.

Cela se ressent aussi dans les prix que nous pratiquons, car nous payons nos matières premières trois fois plus cher que nos concurrents – tout en ayant à peu près les mêmes prix de vente. Si cela fonctionne, c’est en réalité parce que l’on ne jette rien grâce à des préparations minute et des recettes zéro déchet. C’est important pour nous que les produits bio, éthiques, soient accessibles au plus grand nombre. La mixité passe aussi par-là !

Et cette mixité, vous y parvenez vraiment désormais ?

Alors il est vrai qu’au début, nos clients étaient tous des gens engagés parce qu’on en avait rencontré beaucoup pour la création du projet. C’est cette population là qui nous a permis de tenir au début.
Mais désormais, avec le bouche-à-oreille nous nous rendons compte que nous brassons une population beaucoup plus large, au-delà des seules personnes engagées éthiquement qui sont des habituées de ce genre de lieu.

Notamment pour les brunchs que nous proposons et qui attirent désormais les familles, des personnes âgées etc. Ils sont quand même globalement très réceptifs, même si à l’origine ils n’étaient pas forcément venus pour cette raison. Alors cela nous permet de discuter avec eux, et on avance ensemble !

En revanche, il est vrai que pour les personnes défavorisées, forcément, c’est plus compliqué d’élargir au-delà des invitations à déjeuner dont ils bénéficient via les associations.

« Pour moi le bien-être au travail […] c'est d’avoir l’impression que le travail que je fais est important, c’est à dire concret et utile. »

Et si on parlait de la Qualité de Vie au Travail ? Vous vous êtes beaucoup engagées sur les questions sociales et environnementales dans votre cœur d’activité… on pourrait donc facilement parler de RSE, mais en termes de QVT, vous en êtes où ?

Pour moi le bien-être au travail c’est de me sentir bien avec les gens avec qui je collabore, et d’avoir l’impression que le travail que je fais est important, c’est à dire concret et utile. C’est ma vision personnelle... et la raison pour laquelle j’ai quitté ma vie d’avant pour ma vie d’aujourd’hui.

Après, c’est sûr qu’au café, on ne se traite pas aussi bien que l’on traite nos employés (rire). Étant donné que c’est notre projet et que nous voulons le voir réussir, nous ne sommes pas toujours très tendres avec nous-même, on a un rythme que je n’imposerais pas à quelqu’un d’autre. Nous subissons les conditions de travail difficiles de la restauration : on travaille beaucoup, on est debout, on court partout, donc ce n’est vraiment pas idéal du point de vue de la santé physique mais aussi en termes de stress et de pression. Il y a le rush, beaucoup d’attente, et il faut être toujours prêtes. De plus, notre espace est complètement ouvert : tout le monde nous voit tout le temps, donc il faut être toujours souriante, répondre, parler… On n’a pas de vraie pause en fait, même pour manger, pas d’horaires fixes où l’on s’arrête vraiment.

C’est quand nous avons pu embaucher que nous nous sommes rendues compte de cela. Nous nous sommes dit : « hors de question que les personnes qui travaillent pour nous vivent cette situation-là ». De fait, vu qu’on ne pouvait proposer que des contrats avec peu d’heures par semaine c’était plus simple, mais c’est sûr que l’on essaye toujours d’aménager le travail pour qu’il ne soit pas trop fatiguant pour nos salariés.
Quand on s’est rendu compte qu’à trois on faisait à peu près le même travail qu’à deux…on s’est dit que oui, nous vivions bien des conditions difficiles à l’origine. Et quand nous pourrons réembaucher, pour nous, ce sera plus confortable. De plus en renforçant l’équipe, c’est plus agréable, il y a plus de points de vue, d’idées, et puis cela nous permet plus de flexibilité.
Et puis c’est vrai que l’on travaille tous les week-ends, donc pour avoir une vie sociale, ça n’est pas toujours évident. Donc l’idée est d’être plusieurs pour pouvoir alterner et permettre un meilleur équilibre vie privée-vie professionnelle.

Avant le confinement cela marchait bien. Mais avec la crise, nous n’avons pas prévu de réembaucher tout de suite. Donc désormais l’idée ce serait d’embaucher quelqu’un plus longtemps pendant la semaine pour avoir des jours où l’on puisse reposer. Peut-être prendre quelqu’un en alternance à la rentrée de septembre. On s’est projeté avant le confinement, mais là, on ne sait tellement pas comment ça va se passer et nous sommes un peu reparties en arrière…

A terme, si vous allez vers l’idée de vous consacrer à d’autres choses que la cuisine et l’accueil, est-ce que vous pensez que vous gagnerez en QVT ?

L’idée c’est de ne pas déléguer tout le travail physique mais de retrouver une sorte de polyvalence.

Aujourd’hui on passe 100% de notre temps en cuisine. Il serait difficile d’en sortir complètement, car c’est nous qui sommes à l’origine des recettes, garantes du respect de nos principes zéro gaspi, zéro déchet etc. Donc il faudrait que l’on ait chacune des jours en cuisine, pas forcément ensemble, avec quelqu’un d’autre, et le reste du temps pouvoir travailler sur le développement de l’activité au sein du café.

Vous avez un passé professionnel de conseil en RSE, quel regard portez-vous aujourd’hui sur ces questions ?

Je me suis rendue compte que c’était compliqué d’avoir un modèle et d’essayer de le changer ; et qu’il était beaucoup plus simple de partir de zéro. Dans les grosses structures, il faut que beaucoup de gens soient moteurs… car changer une habitude cela prend du temps. Ce type d’entreprise a bien souvent une longue histoire qui les guide, les oriente, et parfois les empêche.

C’est pour cela qu’au café, nous avons pris le parti de se dire directement qu’il fallait y aller à fond, qu’on avait une idée, et que même si elle était un peu folle, il fallait essayer et qu’on verrait bien ensuite…. Vu que nous sommes une toute petite entreprise, nous sommes hyper flexibles et nous pouvons changer de direction assez facilement.

Avant, en tant que consultante, je trouvais cela frustrant de proposer des orientations et de ne pas avoir la main sur les résultats que cela pouvait produire. J’avais besoin de faire quelque chose que je pouvais maîtriser, dont je puisse avoir le contrôle. Et là, même si nous sommes deux, nous sommes en phase.

Aujourd’hui, quel conseil donneriez-vous pour avancer sur ces questions, mêmes aux plus grosses entreprises ?

Je dirais de choisir les bons partenaires. Aujourd’hui, je n’ai pas le sentiment d’avoir des clients ou des fournisseurs… mais bien des partenaires. C’est tellement agréable de travailler avec des gens en qui on a confiance, avec qui on peut échanger sur plein d’autres sujets que celui qui nous lie initialement. Quand on voit tout le travail qu’ils font, le cœur qu’ils y mettent, déjà cela rend fières, on peut communiquer autour de nos engagements respectifs et par conséquent, l’on s’enrichit mutuellement. C’est un cercle vertueux.

Interview réalisé le 29 mai 2020, par Béatrice Baudo, chargée de mission à l’Aract Auvergne-Rhône-Alpes dans le cadre des partenariats noués pour le projet « Passages - entreprises en transitions »

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sur le projet Passage

Béatrice Baudo, chargée de mission
04 37 65 49 95 - 06 24 55 02 06 - b.baudo@anact.fr
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Retrouvez également le replay de la webconférence organisée dans le cadre de la Semaine pour la Qualité de Vie au Travail 2020

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Crise sanitaire : une prise de conscience pour les transitions environnementales et sociales… des entreprises s’engagent