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Depuis plusieurs mois l’Aract propose des témoignages d’entreprises qui cherchent à articuler dans leur organisation et prise de décisions, les enjeux environnementaux et de Qualité de Vie au Travail.

Cet article est un témoignage de chercheuses en ethnologie et en sociologie - Aurélie Javelle (SupAgro) et Hélène Brives (Isara) - qui observent depuis plusieurs années les transformations qui ont lieu chez les agriculteur.trices sur ces questions.

Leur approche nous permet d’entrer dans la finesse de la transformation qui se produit chez l’agriculteur.trice dans son rapport à la nature et à son travail, mais aussi à leur environnement social et notamment entre les agriculteur.trices.
La question du « travailler avec », de « lâcher la maitrise de », tout en « développant les coopérations », en « s’appuyant sur le vivant » ouvrent des voies qui pourraient inspirer d’autres secteurs.

Les autrices

Hélène Brives est enseignante-chercheure en sociologie à l’Isara. Ses travaux de recherche actuels portent sur l’accompagnement des changements de pratiques des agriculteur.ices. dans une transition agro-écologique. Elle travaille en particulier sur deux sujets : les activités des personnes qui accompagnent les agriculteurs (conseillers, techniciens, animateurs, chercheurs…) & l’organisation du travail, les discussions autour de sa qualité, et la gouvernance au sein de collectifs d’agriculteur.ices dans une perspective de transition.

Aurélie Javelle est ethnologue à Montpellier Supagro. Elle s’intéresse aux relations que les agriculteur.trices entretiennent avec les éléments de nature. Un travail de terrain de plusieurs années dans les Cévennes lui a permis d’observer des pratiques développées en partenariat avec les éléments de nature, productifs ou non. Ce travail l’a également amenée à s’intéresser à la dimension corporelle des connaissances des agriculteurs.trices, acquises en inter-relations étroites avec les caractéristiques du milieu. Cela l’a amenée à se former à la sophrologie afin de s’approprier les bases d’une approche phénoménologique du vivant.

Des bouleversements

Le monde agricole est soumis à des bouleversements fondamentaux, notamment par rapport aux moyens de produire de façon plus respectueuse l’environnement. Dans certains cas, les remises en question sont subies de plein fouet, venant mettre à mal l’identité professionnelle du « good farmer » (Burton, 2004 ; Green & al., 2020) dont la compétence professionnelle se vérifiait en particulier par la maximisation des rendements[1]. D’autres remises en question sont revendiquées par des agriculteur.trices dits « alternatifs » qui défendent depuis plusieurs décennies des pratiques respectueuses de l’environnement pour des raisons sanitaires, écologiques ou sociales, mais aussi plus symboliques comme la lutte contre la main mise sur la nature d’un humain qui s’auto-exclue d’un monde qu’il se contente d’exploiter. Une multitude de situations intermédiaires existent entre ces deux extrêmes décrits ici à grands traits.

[1] on pense à l’emblématique club des 100 quintaux des producteurs de blé créé dans les années 80

Ces ruptures, subies ou recherchées, interrogent le métier d’agriculteur.ice, que ce soit en termes matériels comme plus métaphysiques.

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  • Les transformations s’accompagnent de questionnements autour des techniques qui peuvent amener l’agriculteur.trice à des investissements, des reconfigurations du système de production et de commercialisation, alors que la situation économique ne leur donne pas beaucoup de marges de manœuvre.
  • Par ailleurs, certains explorent le statut de l’être humain et ses rapports à la nature. Façonnée dans un rapport au monde plaçant l’humain dans une posture de surplomb par rapport à une nature réifiée, l’agriculture moderne s’est développée après-guerre dans cette logique. L’humain se devait de contrôler fermement une nature-objet (ou nature-ressource) réduite à ses dimensions productives.

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L’agriculture actuelle, notamment via l’agroécologie, redécouvre une nature capable d’actions positives sur les systèmes de production, fournissant une variété de services dits « écosystémiques » : séquestration de carbone, protection contre les maladies, filtration de l’eau dans les sols…

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L’agroécologie repose sur l’idée de produire en valorisant les potentialités écologiques des écosystèmes. La nature doit alors être protégée (l’eau, la biodiversité), sollicitée (la micro-faune participant à la fertilité des sols), voire installée dans les champs (des abeilles pollinisatrices, des bandes enherbées, des arbres).

Réapprendre à travailler avec la nature

La vision de l’activité agricole passe alors de la "maîtrise de" à un "prendre soin de" la nature pour mieux travailler avec elle. Cette vision nous amène à considérer les éléments de nature comme capables d’intervenir dans les processus de production.
Produire avec les écosystèmes oblige ainsi à prendre en compte et donc à connaître leur diversité, leur singularité. Les savoirs mobilisés par les agriculteur.trices sont alors questionnés.

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Depuis l’après-guerre, les agriculteur.trices ont été dans une situation où ils devaient appliquer des savoirs génériques produits par le monde scientifico-technique et diffusées selon un modèle descendant. Aujourd’hui, les savoirs « empiriques », « locaux », « paysans » sont réhabilités afin, de mieux coïncider avec les spécificités des lieux et afin de répondre aux enjeux soulevés par la singularité des agrosystèmes plus incertains donc plus risqués car moins étroitement contrôlés.

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Valorisant un ancrage dans le territoire, ces connaissances peuvent se construire dans un partenariat avec les éléments de nature. Plutôt que strictement intellectuels, ces savoirs demandent une approche fine et sensible du milieu et se développent dans l’expérience, la pratique et l’observation.
Ces apprentissages sont difficiles
car les éléments de nature ont des comportements beaucoup moins prévisibles, plus incertains que des intrants chimiques par exemple. Ces apprentissages sont marqués par des essais et des erreurs, des doutes et surtout un questionnement permanent sur la meilleure façon d’agir dans la situation singulière. Point de recette ici, de méthode standardisée, l’adaptation est permanente.

Echanger, coopérer, apprendre

Travailler avec la nature - c’est-à-dire coopérer mais aussi souvent négocier avec elle -, demande une attention aux processus écologiques, la volonté de les comprendre, en même temps qu’un questionnement réflexif permanent permettant les apprentissages et les adaptations. Renoncer à une part de maîtrise et de contrôle pour laisser place au doute et au questionnement est un vrai changement de posture professionnelle. Cette ouverture aux incertitudes d’un travail avec le vivant questionne les personnes mais également les organisations de travail dans le cadrage qu’elles opèrent (via des normes, des procédés etc.) sur l’activité des personnes. Le questionnement et les apprentissages partagés tirent les organisations de travail vers des formes plus “apprenantes”, favorisant la coopération, plutôt qu’une certaine compétition. Transition agro-écologique et transition sociale sont intrinsèquement liées.

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Les échanges avec les pairs, entre agriculteur.ices, sont ici précieux pour apprendre et se rassurer. Les agriculteur.ices, très souvent seul.es dans leur travail, ont depuis longtemps l’habitude de participer à divers groupes d’échange sur leurs territoires. Ces groupes constituent un creuset où s’affrontent et s’inventent de nouvelles visions de l’activité agricole et où se discutent les modalités concrètes de ce que peut être une transition agroécologique ou environnementale.
Les agriculteur.ices ne répondent pas tous de la même manière à ces injonctions et ces interrogations, chacun.e construisant sa manière d’être agriculteur.ice.

Les nouvelles générations et la QVT

Les nouvelles générations d’agriculteur.ices font l’expérience, sur leurs exploitations, d’organisations très variées au sein de collectifs de travail profondément restructurés reposant moins qu’autrefois exclusivement sur la famille. La réalité des collectifs de travail agricoles s’est diversifiée en combinant, de manière temporaire ou permanente, relations familiales, salariales, associatives ou coopérations informelles entre exploitants (Hostiou, 2016). Cette créativité organisationnelle est marquée par d’importantes modifications du rapport au travail : maîtrise du travail, volonté d’autonomie (chez les agricultrices en particulier), et équilibre vie familiale-vie professionnelle deviennent essentiels (Dufour et Giraud, 2012).

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Jeunes agriculteur.trices sont en recherche d’une certaine Qualité de Vie au Travail (QVT). Une enquête à l’échelle européenne montre que les jeunes générations attendent plus encore que les générations précédentes un travail qui soit source d’épanouissement (Méda, 2013). Elles accordent beaucoup d’importance au sens du travail (être utile à la société, aider les autres), aux relations dans le travail (l’ambiance de travail) et au fait que le travail soit apprenant. C’est un enjeu vital du secteur, que de réussir à redonner du sens aux métiers d’agriculteur.rice et à ce que la société reconnaisse ces métiers par une rétribution décente mais également de manière symbolique. Cela ne se fera pas sans une transition environnementale du secteur.

Comment trouver du sens à un métier qui demande des remises en question aussi fondamentales ? Quelle reconnaissance les agriculteur.trices peuvent-ils attendre des différents publics ?

Les transitions majeures que vivent les mondes agricoles sont porteuses de nombreux espoirs mais doivent être accompagnées pour prendre soin des êtres humains qui en sont au cœur.

En savoir + sur le projet Passage

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Béatrice Baudo, chargée de mission
06 24 55 02 06 / b.baudo@anact.fr