Lou Bio Dao (Manosque)
loubiodao.jpg

Créée il a 13 ans par Hélène et Luc Ronfard, l’usine de biscuits bio « Lou bio Dao » porte dès l’origine des valeurs environnementales fortes, un peu à part dans le secteur de l’industrie agro-alimentaire. Rejoints par leurs enfants, cette aventure exemplaire se poursuit sur le « bon chemin », ou « Dao », comme le concept emprunté au Taoïsme et qui fonde l’identité de l’entreprise.

 

Dans le cadre du projet partenarial « Passage, entreprises en transition » - qui explore les liens entre écologie et travail, nous avons recueilli le témoignage de Luc Ronfard, fondateur de cette biscuiterie pas comme les autres qui a su allier, santé et gourmandise, responsabilité environnementale et progrès social.

Parlez-nous un peu des débuts de l’entreprise. Pourquoi une biscuiterie ?

Nous sommes partis de zéro il y a 13 ans - à Manosque - avec mon épouse. Proche des 50 ans, je ne voulais pas partir sur quelque chose de trop risqué. L’idée était de créer une biscuiterie car c’est un secteur qui demande peu de capitaux. En effet, avant il y avait beaucoup de biscuiteries en France et il est facile de trouver le matériel. Sans compter que les techniques et donc les outils ont peu évolué. Nous avons commencé par construire une usine de 1 000 m2 et commencé en parallèle à reprendre des petits fonds de commerce pour la vente, ce qui a eu l’avantage de nous mettre le pied à l’étrier. On était deux, maintenant on est 25 personnes, avec une croissance de notre effectif de 2 salariés par an. Aujourd’hui, ce sont nos enfants qui reprennent la suite.

Vous fabriquez des biscuits 100% bios et êtes reconnus pour leur qualité. Comment en êtes-vous arrivés là ?

A l’époque de la création, j’avais trois points clés dans ma stratégie :

Le 100% bio : j’y crois ! Et pour moi c’était naturel parce que j’avais 30 ans de réseau bio derrière moi, j’y connaissais beaucoup de gens. Cela m’a permis de gagner du temps, notamment pour entrer dans les circuits de distribution.

Il y avait aussi l’idée de s’associer dès le départ avec des partenaires. Ce qui n’est pas toujours très naturel pour les dirigeants d’entreprises. Assez vite, nous avons créé une société de distribution avec un Italien du Piémont qui nous a permis à la fois de faire du co-investissement et d’agréger nos compétences. On s’est aussi associé avec une entreprise du territoire qui voulait vendre dans le milieu bio et qui avait des commerciaux. C’était un peu plus long au démarrage que de passer par des grossistes mais cela nous a permis de dégager une marge plus confortable, ce qui aide beaucoup au début.

Et puis il y avait l’innovation : nous ne voulions pas engager une guerre concurrentielle sur des produits que tout le monde faisait déjà. Alors nous sommes sortis du standard moyen pour être plus attractif pour les clients. Cela a bien marché.

« Nous avons mis en place des circuits courts avec nos agriculteurs et nous travaillons avec un moulin du département. […] Au moins, nous sommes sûrs de la traçabilité de la farine que nous utilisons. »

Et sur la question du bio spécifiquement ?

Nous avons mis en place des circuits courts avec nos agriculteurs et nous travaillons avec un moulin du département. On a demandé au moulin de nous réserver un silo pour y mettre les blés qui viennent de nos producteurs. Au moins, nous sommes sûr de la traçabilité de la farine que nous utilisons. Ce circuit a d’ailleurs été certifié il y a deux ans par Bio Cohérence[1]. Par ailleurs, nous avons été parmi les premiers de notre secteur à exclure, dès le départ, l’huile de palme de nos produits. A l’époque dans le milieu bio, on savait qu’il y avait des problèmes environnementaux liés à la culture des palmiers à huile et il nous est apparu évident de choisir de ne pas en utiliser.

Au bout de 3 ou 4 ans, nous sommes ensuite passé à la RSE « informelle », c’est à dire celle « du cœur » plutôt que de la « raison »

Aujourd’hui il existe beaucoup de certifications RSE et notre intérêt était plus de mettre en place des actions que d’être à tout prix certifiés.

[1] Un label créé en 2010, en réaction à une diminution des exigences du cahier des charges du label français AB, qui s'est aligné sur le cahier des charges du label bio européen du 1er janvier 2009. Sur le plan de l'environnement du social agricole, le cahier des charges de Bio Cohérence est même plus exigeant que celui de l'ancien cahier des charges du label AB2.

« Nous avons aussi été les premiers à lancer les biscuits en vrac avec des sacs de trois kilos qui sont mis en silos chez les distributeurs. »

Et vous avez aussi élargi votre prise en compte de l’environnement à d’autres aspects de l’activité …

Oui, on a travaillé sur le bâtiment. On avait une usine de 1 000 m2 en 2007, on est passé à 1 300 m2 en 2013, et en 2016 on a racheté des locaux de 2 000 m2 juste à côté du bâtiment initial. Nous sommes donc propriétaires de locaux éco-conçus avec pelouse sur le toit, bardages en bois, briques monomur, pompe à chaleur…. Quand on construit quelque chose le plus important c’est de bien isoler ; on résout alors 80% des problèmes énergétiques.
Et avec une pompe à chaleur on optimise le rendement électrique de ce que l’on consomme avec un rapport de 1 à 3. Cela fait baisser la consommation de deux tiers. Associé à de la géothermie c’est très performant !

Au niveau électrique, nous passons par un fournisseur qui n’utilise que de l’énergie renouvelable « Enercoop » (éolienne, hydraulique, solaire…) et en complément nous avons mis en place une installation photovoltaïque sur le toit. Nous consommons ce que l’on produit et nous complétons ensuite avec notre fournisseur.

En termes d’emballages : nous avions développé un produit de type boudoirs pour bébés que nous vendions dans des boites fabriquées en France et pour lesquelles il existait ensuite un système de recharge de biscuits. C’était une approche innovante et vertueuse, notamment face à l’agro-industrie traditionnelle qui ne prêtait pas du tout attention aux impacts environnementaux du plastique.

Nous avons aussi été les premiers à lancer les biscuits en vrac avec des sacs de trois kilos qui sont mis en silos chez les distributeurs. Le vrac représente aujourd’hui 80 % de notre chiffre d’affaires.

Par ailleurs, les diagnostics que nous avons réalisés sont très favorables. Nous avons calculé notre bilan carbone récemment : 120 tonnes / an. Ce n’est pas énorme. Et nous avons décidé de le compenser en faisant de l’agroforesterie chez nos agriculteurs. Pour compenser notre bilan, il nous faut planter 1 200 arbres par an. On parle d’in-setting, qui est un circuit très vertueux puisqu’on fait planter des arbres directement dans notre filière de production. Cette année on en a fait planter 500, pour arriver petit à petit aux 1 200.

Vous faites déjà beaucoup aujourd’hui … avez-vous de nouveaux projets pour progresser encore ?

Nous sommes en train de construire un projet autour des fours. Nous avons beaucoup de fours pour cuire les biscuits. En termes de consommation, c’est vraiment mauvais. Je souhaite trouver une solution pour récupérer la chaleur pour chauffer ou déshydrater des produits et en faire une nouvelle activité.

Et puis il faut le dire, comme on n’utilise pas d’huile de palme, il a fallu trouver une alternative. Nous nous approvisionnons en huile de coco qui vient d’outre-mer, et le sucre vient aussi de loin puisqu’il est de canne. Donc, en termes carbone, ce n’est pas très bon. Mais vu que ce sont des produits meilleurs pour la santé, nous les utilisons quand même. Après nous sommes attentifs à ce que ces matières premières soient à minima issues du commerce équitable.  

« Bien payer les gens, cela permet d’exclure une grande partie des problèmes personnels et matériels, et tout le monde est gagnant : le salarié, le dirigeant aussi. » 

Et dans l’entreprise, les questions de QVT sont traitées comment ?

Alors bien sûr, sur l’aspect social, il est toujours possible de progresser. Mais il y a quand même quelque chose qu’on a mis en place dès le départ c’est de bons salaires. Quand on a des salariés, il ne faut pas lésiner : 13e mois, prime, intéressement, embauche en CDI…
Bien payer les gens, cela permet d’exclure une grande partie des problèmes personnels et matériels, et tout le monde est gagnant : le salarié, le dirigeant aussi. Il est important de développer son entreprise dans ce sens-là. Il ne faut pas hésiter à ajouter 3 ou 4 centimes par unité vendue pour bien payer ses salariés.

Aujourd’hui, mes enfants, qui reprennent la direction, sont plus sensibles à ces aspects sociaux. Depuis qu’ils sont là, ils ont beaucoup développé la proximité avec les salariés. Il y a des journées collectives où l’on partage des informations claires et des activités. Ces journées sont renouvelées régulièrement. Il y a aussi un barbecue au mois de juillet, des ateliers de sophrologie gratuits…

Mais ce qui est selon moi le changement le plus important, c’est le travail en cours sur l’organigramme de l’entreprise. Pour ma part je dirais que j’ai géré jusqu’ici mon entreprise de manière paternaliste. Mes enfants eux, sont dans une autre approche.
Nous avons fait le constat que l’un des problèmes à résoudre à moyen terme, était notre façon de gérer les relations sociales dans l’entreprise. Notamment, avec les générations 4.0, il faut voir les choses différemment en reconstituant l’équipe avec davantage de cadres intermédiaires. Il y a un recrutement en cours de 3 nouvelles personnes... c’est important d’apporter du sang neuf.

Alors c’est sûr que pour le moment on a de bonnes relations avec nos fournisseurs, nos salariés… Mais l’on n’est pas à l’abri d’un problème. Il faut qu’on écrive l’orientation que nous voulons donner à nos relations : ce qu’on veut y mettre, leur offrir. Pour cela, nous faisons partie du « CEDRE » (Contrat pour l'Emploi et le Développement Responsable des Entreprises en Provence-Alpes-Côte d'Azur) constitué d’entreprises s'engageant dans un parcours RSE ambitieux et que la Région soutien dans leur démarche. C’est dans ce cadre que nous avons identifié ce travail à réaliser sur les parties prenantes.

L’entreprise libérée, agile, ce sont des choses qui vous parlent ?

Alors oui, mais je pense qu’il faut faire attention. L’entreprise va peut-être se libérer mais seulement quand nous aurons mis en place des actions et des mesures concrètes en ce sens. Pour y parvenir, on cherche plus particulièrement à développer la participation des salariés. Mes enfants ont mis en place des ateliers à intervalle régulier et sans hiérarchie et il y a eu un travail avec les salariés sur les valeurs de l’entreprise. Il faut poursuivre dans ce sens !

Que pensez-vous du contexte actuel de la crise sanitaire, et des problématiques environnementales et sociales que cela soulève ?

Si au final nous avons traversé la crise sans véritable difficultés d’ordre économique car nous faisions partie des activités essentielles du secteur agro-alimentaire, les choses n’ont pas toujours forcément été évidentes. Notamment pour nos salariés, en début de crise, quand il a fallu continuer à travailler alors que la plupart des entreprises étaient à l’arrêt et les gens confinés. L’environnement a été anxiogène et il y a eu une semaine ou deux difficiles, mais ensuite il est redevenu naturel de travailler tous ensemble. Chacun étant conscient que la bonne santé de l’entreprise assure la bonne vie des salariés. L’ensemble des forces vives sont allées dans le même sens, et cela a renforcé le lien entre les gens...

Le modèle vertueux de la RSE, les circuits courts, le lien social dans l’entreprise nous a été très favorable. On a provoqué des choses, symboliques, positives (par exemple nous avons produit et offert des tartes pour les personnels soignants à l’hôpital). Cela a renforcé la cohésion, et la conviction d’œuvrer dans un sens plus solidaire en tenant pleinement compte de son environnement. On raisonnait aussi à l’échelle de la ville, sur des préoccupations locales. Cela devient maintenant le schéma, même certaines entreprises du CAC 40 parlent de changer de modèle…

Dans ce contexte justement, que pourriez-vous dire à des entreprises qui souhaiteraient s’engager sur le développement de leur QVT et/ou de leur RSE ?

Je dirais principalement qu’il y a un aspect non accessoire, c’est celui d’être très actif dans les réseaux : de syndicats professionnels par exemple, dans les CCI… Il est important de s’ouvrir, cela permet de rencontrer des gens enrichissants, de partager des expériences, et à travers ces rencontres cela permet de s’inspirer. S’ouvrir vers l’extérieur, piquer des idées, et aussi participer et contribuer à des projets sont importants pour engager des actions sur ces sujets.

Interview réalisé en juin 2020, par Béatrice Baudo, chargée de mission à l’Aract Auvergne-Rhône-Alpes dans le cadre des partenariats noués pour le projet « Passages - entreprises en transitions »

En savoir +
Sur le projet passage

Béatrice Baudo, chargée de mission
04 37 65 49 95 - 06 24 55 02 06 - b.baudo@anact.fr
Consulter la page dédiée au projet

 

Sur Lou Bio Dao

Consulter leur site internet